Lettre d'information FFE n° 76 - Le choix des travailleurs transférés dans le cadre d'une réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice doit être justifié par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles
Contenu de cette page
Question juridique
Le travailleur, initialement engagé comme intérimaire et mis à la disposition du cessionnaire, mais qui n'a conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec ce dernier que quelques mois plus tard, doit-il être considéré comme ayant été transféré dans le cadre d'un transfert sous autorité de justice ?
Si le volet social de la convention de transfert a été homologué par un juge, ce jugement a-t-il des effets contraignants pour le FFE ?
Point de vue FFE
Il est déjà indiqué dans la Lettre d’information FFE n° 59, qu’un travailleur qui n’est pas explicitement mentionné dans le volet social de la convention de transfert sous autorité de justice peut quand même être considéré comme un travailleur transféré si les circonstances le démontrent.
Il a été souligné dans la Lettre d'information FFE n° 63 que la protection offerte par la CCT n° 102 doit être interprétée au sens large. Un travailleur qui entre en service chez le cessionnaire une semaine seulement après le transfert sous autorité de justice doit être considéré comme transféré, même s’il ne figure pas explicitement sur la liste des travailleurs transféré. La poursuite de l’occupation chez le cessionnaire est en effet considérée comme une poursuite du travail chez l’employeur précédent et ne peut pas être interprétée autrement que comme étant une occupation à la suite du transfert sous autorité de justice.
Le FFE estime également que le travailleur qui a été initialement engagé comme intérimaire et mis à la disposition du cessionnaire, mais qui a conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec le cessionnaire seulement quelques mois plus tard, doit être considéré comme transféré dans le cadre d’un transfert sous autorité de justice. En outre, le FFE n’est pas tenu par le jugement d’homologation étant donné que le jugement n’a pas autorité de chose jugée à l’égard du FFE.
Motivation
Faits
Il a été convenu, dans le cadre d’un éventuel transfert sous autorité de justice que 24 membres du personnel seraient transféré dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée. Le cessionnaire potentiel a également proposé d’engager 11 personnes en tant qu’intérimaires. Le cessionnaire a précisé qu’une décision relative à l’identité des travailleurs à transférer serait prise après des entretiens réalisés avec les personnes concernées. La convention a finalement été approuvée et entérinée par le juge et le volet social a également été homologué.
Quelques jours après la faillite, un travailleur a été engagé par une agence d’intérimaire, qui l’a ensuite mis à la disposition de l’entreprise cessionnaire pour une période de quatre jours, avec pour motif « remplacement suspension du contrat ». Ce travailleur a ensuite continué de travailler dans le cadre de contrats de travail intérimaire successifs, conclus de semaine en semaine, et ce pendant sept mois. Le motif était à chaque fois « augmentation temporaire du travail ». Après ces sept mois, il a obtenu un contrat de travail à durée indéterminée.
Le FFE a considéré que ce travailleur avait été transféré. Le travailleur n’était pas d’accord avec ce point de vue. Une action a été introduite devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles, dans laquelle l’entreprise cessionnaire a été assignée en intervention forcée. Le tribunal du travail a donné raison au FFE, à la suite de quoi le cessionnaire a interjeté appel.
Cour du travail de Bruxelles, le 4 janvier 2023, RG 2020/AB/609 et 2020/AB/616
Tout d’abord, la Cour du travail a jugé que le jugement d’homologation de la convention de transfert n’avait pas autorité de chose jugée vis-à-vis du FFE, étant donné que le FFE n’était pas partie à l’affaire.
La Cour du travail a ensuite examiné les dispositions relatives au transfert sous autorité de justice de manière plus approfondie.
La Cour du travail se réfère à l’article XX. 86 du Code de droit économique et à l’article 12 de la CCT n° 102 qui disposent que le choix des travailleurs repris par le cessionnaire revient à ce dernier, mais que ce choix doit être dicté par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles et sans différenciation interdite.
Le travailleur concerné a toujours travaillé dans la même fonction. Son nom figurait au départ sur la liste des travailleurs occupés. Le cessionnaire a choisi de ne pas le reprendre, mais de l’engager comme intérimaire. Il incombe au cessionnaire de justifier que le licenciement qui a été suivi par l’occupation sous le couvert de plusieurs contrats de travail intérimaire, peut être justifié par des raisons techniques, économiques et organisationnelles.
Le motif invoqué, à savoir « augmentation du travail », n’est pas prouvé dans ce cas-ci et le travailleur ne pouvait pas être licencié. Il doit donc être considéré comme transféré. En outre, le juge peut examiner ces motifs, il ne s’agit pas ici d’un contrôle marginal.
La Cour du travail estime qu’il n’y a pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour européenne de justice, car celle-ci s’est déjà prononcée dans l’arrêt PLESSERS. Elle a estimé que la procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice n'était pas une procédure collective d'insolvabilité en Belgique.
La Cour du travail souligne le fait que le cessionnaire doit motiver le choix du travailleur transféré. Si le cessionnaire fait d’abord travailler des travailleurs comme intérimaires pour seulement ensuite les engager dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, cela doit être motivé, et ce à chaque fois sur base de raisons techniques, économiques et organisationnelles.